«La Mer Erronée», un poème de Delphine Lecompte
Le poème «La Mer Erronée» est extrait du recueil Je suis Delphine et on est mercredi, traduit par Katelijne De Vuyst, éditions L’Arbre de Diane, 2020.
La Mer Erronée
Le diplomate rougissant montre du doigt les rochers de la Mer Erronée
Sur ces rochers-là il veut pique-niquer avec moi
À dessein il vogue comme un fou et porte des vêtements ridicules
Ils sont nautiques à outrance et d’une nouveauté aveuglante
La Mer Erronée m’arrose d’une vague.
Maintenant que je suis nue le diplomate ne rougit plus
C’est un autre rouge, de toute façon pas de honte
Je fais semblant d’être timide, de chercher une serviette
Après l’acte, du bout des dents nous pique-niquons sur les rochers
L’acte du bout des dents, le pain est délicieusement sucré.
«Je pourrais t’assassiner ici, même un chat n’y verrait que du feu!» fulmine le diplomate
Il a tort: une bobineuse suédoise y verrait du feu
Un ex-boxeur usé, un cuisinier arriéré, et peut-être un jour mon père
Quand je veux me rhabiller le diplomate me dit:
«Attends un moment. Jouons à OXO sur tes genoux!»
Je gagne deux fois, une mouette s’empare d’une croûte de pain
Le diplomate dit: «Rhabille-toi, je veux regagner la côte.
J’ai un autre rendez-vous avec une chorégraphe polonaise.
Elle est plus jolie que toi, des centaines d’hommes regretteront sa mort.
Et son père voudra venger sa mort, peut-être que ça lui réussira…»
De retour sur la digue je brûle de soif
Ma mère ne lève pas les yeux quand j’entre dans la chambre d’hôtel
Dans la douche j’efface tous les O’s de mes genoux
Sur les rochers il y a le Bic que mon père m’a donné sans raison ni valeur.
